Jafar Hussain est un membre de l’Alliance pour une Communauté Éducative Inclusive. Durant notre projet de production de baladodiffusions en avril 2019, Jafar s’est prononcé sur les causes et les conséquences de l’islamophobie en milieu scolaire. L’islamophobie a été au centre de notre actualité au mois de juin 2021. En effet, l’attaque de London ayant entraîné la mort de quatre personnes a fait ressurgir le débat sur l’acceptation et l’inclusion, l’ouverture aux différences.
Dans cet entretien du 18 juin 2021 dont les propos ont été recueillis par Alice Fomen, Jafar revient sur les éléments qui exacerbent l’islamophobie dans notre société et en profite pour nous livrer une documentation que nous allons attacher à cette publication et que nous encourageons tous les enseignants à consulter.
-Bonjour Jafar, la communauté musulmane et le Canada tout entier ont été choqués à la suite de l’attaque de London. Comment vous êtes-vous sentis à la suite de cet acte qui n’est malheureusement pas isolé?
– Merci de me parler d’un sujet que je trouve extrêmement important de nos jours. Cet acte, c’était une tragédie, il faut le dire. Cependant, sur le moment, je l’ai vu de façon superficielle. Mais après cela j’ai discuté avec ma mère qui a subi des agressions aux États-Unis d’Amérique après les événements du 11 septembre 2001. Ma mère porte le Hijab donc visiblement elle est musulmane. Après qu’elle ait communiqué ses craintes sur la situation des musulmans, j’ai été vraiment perturbé.
-Penses-tu que la sensibilisation faite autour de l’islamophobie est suffisante?
-L’islamophobie n’est pas un phénomène spontané, mais plutôt ancré dans certaines sphères de notre société, notamment par les médias. Les médias nous dépeignent comme des personnes illettrées et abusives. On présente les musulmans au public comme étant des terroristes. Même si ce n’est pas dit de façon explicite, cela se voit dans les médias. Je vais vous lire un extrait présenté par le shorenstein center qui a été fait sur l’exclusion des histoires positives des musulmans «In an analysis of the major newscasts of three outlets, CBC, Fox news and NBC, Stones finds that during a two year period from 2015 to 2017 there was not a single month where positive stories about muslims outnumbered the negative stories» (https://shorensteincenter.org/media-coverage-muslims-refugee-policy/). Les médias contribuent donc à renforcer l’idée fausse et négative selon laquelle les musulmans sont des personnes violentes, des personnes abusives, des terroristes.
-On a l’habitude de dire «L’ignorance entraîne la peur». Plusieurs personnes pensent que l’islam est une religion monolithique qui ne peut pas s’adapter aux nouvelles réalités de notre société. Quel est ton avis?
-Ceci est bien évidemment un stéréotype. L’islam est la deuxième plus grande religion dans le monde. Il y a tant de variétés dans le monde musulman, par exemple le musulman d‘Indonésie vit avec des variation culturelles différentes de celles du musulman aux États Unis d’Amérique, qu’il s’agisse des vêtements, de la nourriture, du style de vie. Le musulman travaille dans toutes les sphères de la société. On a des médecins musulmans, des ingénieurs musulmans, des enseignants musulmans etc. Si l’on prend les écoles comme microcosme de notre société, on voit les musulmans intégrés paisiblement partout. Il faut éviter de mettre 2 milliards de personnes dans une petite boîte pour continuer un faux narratif qui a été construit depuis des années.
Au niveau de l’école il faut vraiment faire attention à nos biais personnels car cela affecte le service offert aux élèves et aux familles musulmanes. De plus, c’est contre la charte de droits humains de l’Ontario de retirer ou ne pas offrir certains services à cause de l’identité de quelqu’un.
-Parlant de milieu éducatif, penses-tu que le système scolaire fait sa part en ce qui concerne l’inclusion des élèves musulmans?
-Il y a de nombreuses lacunes qui subsistent. Par exemple, pensez aux élèves qui athlètes qui font du jeûne durant le mois du Ramadan. L’enseignant qui est sensible à cela en tiendra compte durant sa programmation d’activités. Pensons-nous aux biais que l’enseignant porte lorsqu’il voit une jeune fille qui porte le Hijab? À mon avis le système devrait donc être plus sensible à ces faits et offrir des ressources et formations aux enseignants et au personnel des écoles. On doit aussi faire attention aux ressources utilisées en salle de classe et s’assurer qu’elles ne renforcent pas le narratif négatif propagé par les médias.
-Parlant de ressources, que pourrais-tu recommander pour les enseignants?
Même si l’on peut avoir des guides, des trousses d’activités sur l’islamophobie, pour moi la meilleure ressource reste le rapprochement avec la communauté. Il faut se rapprocher des communautés musulmanes, mieux comprendre leur culture, inviter des personnes en classe pour parler de la foi musulmane. En bref, bâtir une réelle relation humaine et ne pas se limiter aux stéréotypes. En plus, il faut nommer les actes d’islamophobie lorsqu’ils se présentent dans les actualités, etc.
-Concernant les ressources qui seraient utiles aux élèves, que recommandes-tu?
L’exemple de la ligne téléphonique Kids Help phone me vient en esprit, surtout pour nos jeunes musulman.e.s. Si un système pareil est mis sur pied pour les élèves musulmans, ou ils se sentent à l’aise pour exprimer leurs sentiments, soucis, inquiétudes, etc., ce serait un excellent départ. Lorsque je prend mon cas en tant qu’enseignant musulman, je reçois de nombreuses questions des collègues, des parents, des élèves. et parfois ça m’épuise d’essayer de me défendre à chaque fois lorsque des actes sont posés par d’autres personnes. Ce genre de ligne téléphonique viendrait servir comme un autre point d’appui pour laisser les élèves communiquer leurs préoccupations.
-Parlant de ressources, il existe un guide intitulé « Aider les élèves à gérer le traumatisme lié a la violence geopolitique et à l’islamophobie». Penses-tu que les enseignants sont réceptifs à ce type de ressources?
À mon avis ce type de ressource (texte écrit, NDLR) ce n’est pas suffisant. Cela pourrait s’accompagner d’activités de formation interactives, de vidéos, de sondages.
-As-tu vu des initiatives menées par des enseignants qui visaient à détruire les stéréotypes envers les musulmans et autour de l’islam?
Dans mon école actuelle il y a eu quelques initiatives. Par exemple, nous avons nombreux défis que nous lançons à l’école pour découvrir diverses cultures et diverse communautés,
Dans les conseils scolaires, il y a le Muslim Heritage month mais il faut faire du travail supplémentaire, chercher des ressources et programmer des activités. Aussi, dès qu’on parle d’Islam, de nombreuses personnes ne se sentent pas à l’aise car elles se disent que c’est un domaine qu’elles ne connaissent pas bien et elles ont peur de faire des erreurs. Il y a des enseignants qui sont venus vers moi pour des idées d’activités et pour recueillir des conseils afin de créer des activités respectueuses de la foi musulmane. D’une telle manière, les enseignants peuvent aussi utiliser leurs collègues comme ressources ce qui entraîne plus de collaboration entre eux.
-Pour clôturer l’entretien, j’aimerais te demander si tu avais en face de toi un enseignant, un représentant d’organisme communautaire et un membre du gouvernement, quelle recommandation donnerais-tu?
Au membre du gouvernement, je dirais de prendre de réelles mesures punitives pour les actes d’islamophobie. À l’enseignant , je dirais c’est correct si tu te trompes, mais la chose la plus importante est de montrer à tes élèves musulmans que tu essaies de façon sincère, et que tu fais des efforts pour mieux les connaître. Lorsqu’on connaît mieux la situation de ses élèves, il y a des adaptations qui interviendront plus naturellement dans la salle de classe pour créer un environnement sécuritaire et inclusif. Je recommanderais aux organismes communautaires de soutenir les initiatives sur l’inclusion, d’établir des partenariats pour créer des ressources afin de sensibiliser le public sur les conséquences de l’islamophobie.
Pour terminer, j’aimerais revenir sur certains stéréotypes qui place l’islam comme une religion archaïque, irrationnelle et barbare. Ce genre de stéréotypes sont à la base de tout ce qui se passe en ce moment en termes d’attaques islamophobes. N’oublions pas que quand ces soi-disant pays civilisés étaient encore dans les ténèbres, les sociétés de l’Orient florissaient. Ils avaient leur civilisation, leur science très développée avec les nombreuses découvertes et inventions faites dans divers domaines. Un exemple c’est l’algèbre et l’invention du zéro. Sans ces découvertes, l’ordinateur ne serait pas possible. Il faut revenir à cette histoire et l’enseigner en classe pour déconstruire certains stéréotypes.
-Merci Jafar d’avoir partagé ton expérience et surtout d’avoir fourni la documentation supplémentaire que nous publierons avec cette entrevue.
-Merci pour ton invitation.
Sources à consulter:
- https://www.nationalobserver.com/2021/06/09/opinion/canada-islamophobia-problem-conservatives-are-root
- https://toronto.ctvnews.ca/how-many-deaths-need-to-happen-canada-has-a-troubling-anti-muslim-hate-problem-1.5475865
- https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Religion/Islamophobia-AntiMuslim/Civil%20Society%20or%20Individuals/Noor-ICLMG-ISSA.pdf
- http://tessellateinstitute.com/wp-content/uploads/2016/11/Examining-Islamophobia-in-Ontario-Public-Schools-1.pdf
- https://www.toronto.ca/wp-content/uploads/2019/04/97e4-Geopolitical-Violence-and-Islamophopia.pdf